Article de Christian Couturier le 16 avril
Beaucoup de voix s’expriment pour dire que l’après ne ressemblera pas à l’avant COVID 19. On peut imaginer que cela concerne tous les secteurs de la société. L’école évidemment, et donc l’EPS, est l’objet de nombreuses analyses et discours, et ce dans une période où elle ne fonctionne plus.
Les premiers temps ont surtout révélé le fait qu’enseigner ne s’improvise pas, et que le numérique a ses limites. Très vite la question des inégalités est arrivée : oui, les conditions matérielles et culturelles dans lesquelles vivent les enfants sont très inégalitaires. Or l’école, sans y arriver totalement, est là pour réduire ces fractures. C’est le cas de l’ensemble des services publics.
Pourtant, d’autres discours ont surgi pour remettre au premier plan les désirs enfouis d’une Ecole dont il faudrait totalement changer le logiciel, en reposant sur une seule composante : le numérique !
Et pour l’EPS ? Un démarrage chaotique
Le SNEP a vite dénoncé la formule « continuité pédagogique » (lien) : Il ne peut y avoir d’école sans école. C’est la gestion de la discontinuité qui était en jeu, et non l’instauration d’une continuité impossible.
Pour l’essentiel, quelle est donc l’activité physique des jeunes pendant cette période ? Des exercices de musculation sans matériel, des étirements, des exercices de maintien, du cardio-training. Autrement dit une activité hyper basique, peu ludique et bien entendu individuelle. Peu de jogging chez les jeunes. Et chez les plus chanceux, de la danse, activité pour laquelle des contenus plus ludiques ou plus élaborés ont pu circuler.
Un autre fait : tenir un « carnet d’entrainement » visant à amener les élèves à être leur propre coach ou de construire une pratique réflexive passant par l’écrit. Cette volonté présente en EPS depuis 20 ans, se concrétisant dans les référentiels bac et la promotion de la CP5 en lycée, est un axe majeur de la politique de l’EPS. Objectif qui ne tient pas compte des inégalités : les élèves en phase avec les codes scolaires s’en sortent, la majorité restitue ce que dit l’enseignant-e (pour assurer une bonne note), et les plus en difficulté délaissent ce qu’ils considèrent comme une « prise de tête », autrement dit une intellectualisation de l’EPS à laquelle ils n’adhèrent pas, car ce type de travail est un marqueur de leur échec scolaire. Nous vous renvoyons au Contrepied musculation qui vient de sortir (lien)
Il ne faudrait pas que le confinement accentue le processus de « dé-discplinarisation » de l’EPS que nous avons dénoncé (lien) et accélérer la déconstruction d’une identité professionnelle qui a fait de la France un pays original en matière d’EPS.
Chacun voit bien que nous sommes devant des choix de société. D’un côté le confinement a mis en évidence le besoin de pratiques sportives ou artistiques, le besoin de relations sociales, le besoin d’école, mais aussi de loisir, donnant ainsi de l’espoir pour réorienter les politiques publiques qui n’ont cessé ces dernières années de réduire tout cela. De l’autre, pour des raisons économiques et idéologiques, le risque de s’appuyer sur la crise pour aller encore plus loin dans la destruction de modèles jugés obsolètes. Le mouvement des gilets jaunes puis le mouvement contre la réforme des retraites donne l’espoir que la crise sanitaire et économique actuelle pourrait en quelque sorte remettre les compteurs à zéro. C’est là, dans ces moments de bascule, qu’il faut mobiliser pour imposer d’autres choix.
Une sortie probablement tout aussi chaotique
Pour revenir à l’EPS, la période de confinement va avoir permis – dans le meilleur des cas -une activité physique « basique », hygiéniste. Le déconfinement, progressif (dont on ne connait pas à ce jour les conditions réelles), avec l’application des gestes barrières, va pendant un temps indéterminé interdire la reprise de l’EPS d’avant la crise : sports impossibles à cause des nombreux contacts, problème de vestiaire, de multiples contacts avec le matériels…
Va-t-on prolonger cette AP basique, hygiéniste, cette fois-ci sous statut « d’EPS », faute de pouvoir enseigner d’autres contenus ? Une sorte de « gym néo-suédoise », que l’institution pourrait porter aux nues, invitant à changer de logiciel, avec le slogan « rien ne sera comme avant », tentant ainsi de ringardiser justement tout ce qui se faisait avant. Pour information, l’Allemagne, le Luxembourg et le Portugal ont exclu l’EPS de la reprise des cours…
Les militant-es de l’EPS que nous sommes ne peuvent ignorer ces risques et devront se mobiliser en conséquence. Naomi Klein[1] a parfaitement montré comment les pouvoirs savent se saisir de tous les chaos pour se renforcer et imposer des choses qu’ils ne pourraient pas imposer en temps normal. Mais rien n’est écrit, et nous avons toujours la possibilité d’empêcher que le prévisible n’advienne.
[1] La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Acte Sud. 2008
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